Ces quinze dernières années, Mike Flanagan s’est imposé comme l’un des maîtres incontestés de l’Épouvante et du Fantastique au cinéma, mais aussi de la série télé. Il est donc assez peu étonnant que son chemin ait rapidement croisé celui d’un autre maître de l’Horreur, Stephen King. Il a même réalisé l’une des meilleures adaptations à ce jour (et, vu le paquet d’adaptations pourraves, c’est une prouesse), « Doctor Sleep » en 2019. Cette suite de « The Shinning » à la fois du livre de King et du film de Stanley Kubrick (pourtant considérés comme irréconciliables) l’a définitivement fait reconnaître tel un poids lourd du genre. Six ans plus tard, après s’être occupé de pas moins de quatre séries TV, il revient avec une adaptation de Stephen King, comme c’est original…, mais attention, il ne revient pas là où on l’attendait.
En portant à l’écran la nouvelle « The Life of Chuck », Mike Flanagan réalise le pari de nous présenter une autre facette de son art. Déjà une œuvre atypique de Stephen King, le film nous emmène dans une dimension bien plus émotionnelle et puissante qu’à l’accoutumée. Si, dans toutes ses productions Flanagan fait preuve d’un humanisme puissant, qui utilise l’Épouvante ou l’Horreur pour aborder des sujets sensibles, voir tabou, cette fois-ci c’est l’inverse. En effet, avec « The Life of Chuck », il utilise le drame et ses conventions pour nous raconter l’histoire d’un homme, un homme lambda, avec une vie tout à fait normale, qui n’a absolument rien de particulier, rien de flamboyant, c’est juste un comptable comme il en existe des millions.
Mike Flanagan pratique donc ici le chemin contraire, qui est d’illustrer des émotions, avant d’introduire un potentiel aspect fantastique, d’une manière ou d’une autre. Le film se décompose ainsi en trois actes, et il est très difficile d’en parler sans spoiler, donc faisons simple. Ces Trois actes s’avèrent très distinct, mais terriblement complémentaires, ils forment un ensemble à la puissance évocatrice assez rare au Cinéma. Le procédé est plus simple en littérature. C’est par cette structure que Mike Flanagan aborde les thématiques qui lui sont chère, celles que l’ont retrouve dans toutes ses créations, des trucs basiques comme la vie et la mort, mais surtout l’enfance, son idéalisation et ses traumas. Une fois de plus, il demeure cohérent avec ses travaux précédents et signe ici son œuvre la plus particulière, tout en intimité il nous fait part de ses interrogations, de ses peurs, en proposant un récit touchant et émouvant qui ne force jamais sur les cordes sensibles.
C’est bien à un voyage que nous convie Flanagan, celui de l’existence, celle d’un homme qui permet d’évoquer toutes les autres personnes, tous les êtres humains qui ont un jour mit un pied sur Terre. Il évoque avec habilité toutes ces histoires, tous ces univers présents à l’intérieur de chaque individualité, perdues dans l’immensité cosmique qui par moment peut sembler si terrifiante. Le métrage aborde l’absurdité et la vacuité de l’existence, face à l’inéluctable, tout en l’abordant tel quelque chose qui fait sens, pour chacun/e d’entre nous, pour tous les gens que nous croisons, celles et ceux que nous avons rencontré, que nous rencontrons et que nous rencontrerons. Toutes celles et ceux croisés une fois au détour d’une ballade, d’une soirée, mais aussi celles et ceux qui restent, là, dans un coin de nos vies et dans notre mémoire. Les moments vécus, les souvenirs, les attentes et les espoirs, tout ce qui compose la vie des êtres que nous sommes, ont leurs importances, qui constituent ces univers qui nous sont propres.
Au vu de l’époque dans laquelle nous vivons, et ça le film prend un bien malin plaisir à le rappeler, il s’impose presque vital de se dissocier de cette Histoire du Monde devenue totalement folle, un besoin de déconnexion, ou de recul. Car comme le dit le film avec malice, tout ce que nous avons à dire face à la déréliction du Monde moderne est « Ça craint ! » et, en effet, on ne peut pas dire ou faire grand-chose de plus. Alors peut être que le temps est venu de nous recentrer sur les petits plaisirs de nos existences, le Cinéma, bien sûr, la Musique, la Littérature, la Poésie, et toutes ces œuvres d'arts mises à notre disposition, qui sont tout autant d’univers crées par des êtres qui sont peut être sorti du lot, mais qui n’en sont pas spécialement plus extraordinaires pour autant.
En abordant un sujet pas facile, et même grave, « The Life of Chuck » se révèle un prétexte pour célébrer simplement la vie. Ce changement de ton dans la filmographie de Mike Flanagan apparaît comme un besoin de proposer non pas une œuvre sombre et horrifique pour nous divertir, mais au contraire, une œuvre lumineuse et joyeuse, pour nous rappeler que, finalement tout va bien, et quoi qu’il arrive, tout ira bien. Comme le dit une chanson de Pearl Jam : « I know I was born, and I know that I’ll die, the inbetween is mine. », c’est là tout le message de « The Life of Chuck ». Une pièce de cinéma populaire qui se fait rare, et qui vient nous parler au plus profond de nos petits cœurs, pour relativiser tout ce merdier environnant, parce que oui « ça craint ! », mais en même temps, What a ride !
Stork._